Vendredi 16 mai 2025 par Laurent Sapir

Sinners

Quand le blues se fait vampiriser dans tous les sens du terme... Malgré des procédés parfois criards, Ryan Coogler invente une étonnante fable de morts-vivants pour défendre la "Great Black Music" dans ce qu'elle a de plus irréductible.

 

Les codes de l'épouvante sont décidément bien commodes lorsqu'il s'agit de combattre racisme et mépris de la culture africaine-américaine. Après Get Out, c'est Sinners qui en offre une nouvelle démonstration sous la direction de Ryan Coogler, surtout connu jusqu'ici pour avoir adapté l'univers Marvel avec Black Panther. Ses nouveaux super-héros en l'occurrence sont deux gangsters frères jumeaux (incarnés par le même acteur, Michael B. Jordan) qui, de retour dans leur Mississippi natal en pleine époque Ku Klux Klan, décident d'ouvrir un juke-joint, ce mélange de club et de tripot dédié au blues et destiné à des publics ségrégués.

Un jeune virtuose de la guitariste ainsi que la bienveillance d'une communauté riche d'auxiliaires en tous genres (y compris un couple asiatique...) transforment le projet en réalité jusqu'à l'apparition d'un trio de vampires emmené par un fan de musique irlandaise. Plutôt poussif dans son exposition, le propos de Ryan Coogler prend alors une dimension que le journaliste Thomas Sotinel a bien résumé dans les colonnes du Monde: ces vampires ne sont pas racistes. Ils se proposent même de faire cause commune avec les héros du film contre le Ku Klux Klan. La menace est ailleurs. "I am your way out " ("je suis ta porte de sortie"), balance notamment le chef des vampires au jeune guitariste, comme si nos amoureux du blues devaient succomber face aux canines d'un melting-pot musical généralisé. De fait, pour ces morts-vivants, le blues n'a pas de couleur. À part celle de l'argent. 

On se souvient alors de la fameuse formule de Muddy Waters au sujet des Rolling Stones: "lls m’ont volé ma musique, mais ils m’ont donné mon nom". Autant dire que l'apparition finale de Buddy Guy dans la peau de l'ex-virtuose devenu vétéran offre un vernis émouvant à cette problématique de l'appropriation culturelle et des musiques "vampirisées". Il en va de même lors de l'étonnante séquence où soudainement, et alors que la soirée dans le juke-joint bat son plein, le réalisateur convoque dans un seul espace-temps tous les styles de la Great Black Music, de Bessie Smith au hip hop.

Cette virtuosité malheureusement n'est pas exempte d'une certaine lourdeur lorsque le réalisateur tente de reprendre de façon assez criarde les paramètres du film d'action, ou bien encore lorsqu'il convoque tous les clichés liés à l'univers du blues, de l'église aux champs de coton. On est alors bien loin du Tarantino de Django Unchained, avec en supplément une contradiction apparente -même si elle rend le film intéressant- entre le côté patchwork de la mise en scène dans sa traversée des genres et l'éloge d'une certaine forme d'irréductibilité culturelle que le propos véhicule.

Sinners, Ryan Coogler, en salle depuis le 16 avril